Les nouvelles de Penda Diouf

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En février et mars 2020, l'autrice Penda Diouf a été invitée par le SVCA et la scène nationale Culture Commune dans le cadre d'une résidence où elle a commencé à écrire sa nouvelle pièce de théâtre. S'appuyant sur des thématiques liées à la maison et souvenirs de l'enfance ainsi qu'au parcours migratoire de sa mère, Penda s'est inspirée des paysages et traditions du bassin minier du Pas-de-Calais et de ses diverses rencontres à l'Université afin d'écrire ce texte. Elle nous raconte l'évolution de celui-ci depuis le début du confinement.

Bonjour,

Du fait de la situation sanitaire, je suis rentrée chez moi à Aubervilliers, quelques jours avant la fin officielle de ma résidence d’écriture à Culture Commune et au service culturel de l’université d’Artois.

J’ai bien avancé sur le texte et malgré quelques soucis d’informatique, j’espère pouvoir en livrer une première version dans une quinzaine de jours.

Je vais revenir ici sur quelques livres et citations qui m’ont guidée pendant la résidence.

J’ai lu Le dossier sauvage  de Philippe Artières aux éditions Verticales et je suis contente d’avoir croisé la route des ermites qu’il décrit. Ils éclairent mon trajet d’écriture.

« Vivre seul, à l’écart, est devenu une attitude suspecte. On passe pour un fou ou un pervers. Aux Etats-Unis, après la guerre du Vietnam, on a permis à beaucoup de vétérans bousillés par leur expérience apocalyptique de se réfugier dans les forêts. »

« Sans pain, sans vêtement, sans lit, il brave les nécessités les plus impérieuses de la vie et marche résolument vers une existence plus rétrécie encore s’il est possible. Ce n’est point la haine des hommes, ni même la misère qui le guide, il croit voir son rêve aux limites de l’horizon, et il marche toujours. »

« Le personnage, problème devrais-je dire, a une force de dérangement de l’ordre qui est sans limite. »

Le personnage principal, Barbara, va donc vivre en ermite en dehors de la maison. Sa fille, à l’intérieur, va grandir comme la gardienne de cette maison devenue peu à peu comme un musée. Impossible de changer quoi que ce soit en souvenir de la mère disparue. Et l’idée de la maison musée fait écho avec les cités et corons devenus patrimoine mondial de l’UNESCO.

« Comme si l’effet de ces révolutions avait été brutalement décevant. Devenir sauvage était ainsi la seule solution pour conjurer l’échec d’un idéal collectif » (…) Une lassitude, un désenchantement… presque crépusculaire ».

Je pense aux grèves de 1948 qui ont été réprimées par l’Etat dans le sang. J’apprends que les mineurs étrangers sont rapatriés à ce moment-là dans leur pays d’origine. Cette femme pourrait avoir choisi de disparaître à ce moment-là.

Extrait de ma note d’intention :

En 1991, nous habitons à Moulins sur Allier, en Auvergne. Terre d’exil pour moi après avoir passé les 9 premières années de ma vie à Dijon.

Deuxième terre d’exil pour mon père après avoir quitté Dakar au Sénégal puis Dijon.
Troisième terre d’exil pour ma mère après avoir quitté Dimbokro, en Côte d’Ivoire, Dakar au Sénégal et Dijon.

C’est l’itinéraire maternel que j’ai envie de suivre aujourd’hui. La filiation paternelle fera l’objet d’un autre travail.

Ma mère est née à Dimbokro, en Côte d’Ivoire. Elle y vivra les 24 premiers mois de sa vie, sans pouvoir se rendre compte des disputes qui fissurent déjà le couple parental. Sa mère, 19 ans se sépare de son conjoint. Ce dernier, mon grand-père, enlève ma mère à sa famille et quitte le pays pour Dakar, au Sénégal. Il mourra 6 ans après. Tout contact est rompu avec le pays d’origine de ma mère.

En 1991, nous habitons à Moulins sur Allier, en Auvergne lorsque nous recevons un appel  de Côte d’Ivoire. Un cousin de ma mère qui a réussi à retrouver le fil de sa trajectoire.  La même année, elle fera un chemin inverse, retournant à l’âge de 41 ans dans un pays qu’elle ne connaît pas, dont elle ne maîtrise pas la langue (le baoulé), dont elle est très éloignée culturellement mais où vit toute sa famille. Ma famille.
Le jour du retour au village, beaucoup de vieilles femmes ressemblant à ma mère sont assises sur leurs talons devant le portail de la maison familiale. Toutes petites, le teint clair, les cheveux gris et courts, les pommettes saillantes. Des vieilles à la peau tirée par l’âge et les travaux aux champs. Ma mère les salue, chacune, sans savoir laquelle est sa propre mère, la femme l’ayant mise au monde 41 ans plus tôt. C’est la dernière à lui être présentée. Elles tombent dans les bras l’une de l’autre. Mon arrière grand-mère, décédée peu de temps après notre rencontre, est là également.

Ce soir-là, j’entends à la radio une chanson d’Yseult qui dit : «  J’ai perdu la tête. Où est le chemin de ma maison ? ». Je n’entends pas la chanson en entier, je ne retiens que cette phrase.

Je crois que mon personnage de femme ermite, à l’image de Geneviève de Brabant, ermite allemande du 12è siècle, est né. Elle passera 40 ans en forêt.
40 ans car c’est le temps que ma mère a mis pour retrouver sa famille en Côte d’Ivoire et « retrouver le chemin de sa maison ».

Je lis aussi des conseils de Philippe Artières sur l’acte d ‘écrire et suis bien décidée à les envisager sous l’angle de ma pratique.

« C’est dans cet acte de « passer outre », d’être soi-même en somme et non pas simplement l’expression des consensus qui font loi, de ne pas rester enfermé à l’intérieur du cercle impératif qu’ils nous fixent. C’est avant tout dans cet acte solitaire que se trouve « la création ». Tout le reste vient par surcroit. »

Mais aussi :

« Les modes de résistance passent nécessairement par l’invention, par la fiction. Je suis troublé de voir comment les luttes contemporaines m’imposent de reprendre le dossier sauvage. Les zones à défendre (ZAD) sont sans doute des imaginaires à défendre. »

Sur le travail qu’on pourrait rattacher à la mine, je trouve cette citation :

« Durant un siècle, l’humanité s’est livrée à une expérience fondée sur l’hypothèse suivante : l’outil peut remplacer l’esclave. Or il est manifeste qu’employé à de tels desseins, c’est l’outil qui de l’homme fait son esclave. »

Je me rends compte que l’histoire du territoire est liée à la mine, mais aussi intimement mêlée aux deux guerres mondiales et à celle d’Algérie. Ce sont ces brassages géographiques et historiques que je dois creuser.

J’imagine que l’ermite, Barbara, du même nom que la patronne des mineurs pourrait apparaître par moment. Soit à un mineur au fond, soit à l’orée de la forêt, au crépuscule, entre chiens et loups. Qu’un mineur se passionnerait pour cette apparition qu’il apparenterait à Sainte-Barbe et qu’il en ferait des tableaux hallucinés, amoureux et obsessionnels. Il dédierait sa vie de peintre à cette apparition salvatrice.

Je découvre les œuvres de Modigliani au LAM de Villeneuve d’Ascq. Je suis attirée par le regard vide, sans pupilles. Il me semble que c’est comme ça que Barbara sera vue et elle entrera ainsi en collision avec la sainte. Barbara aurait pu être mariée avec un mineur marocain.
A la suite des grèves de 48, où l’Etat a usé de la force contre les ouvriers, certains d’entre eux, qui n’avaient pas la nationalité, ont été expulsés. N’est-ce pas ce qui est arrivé au mari de Barbara ? Trahie par l’Etat, son mari expulsé, elle aurait pu trouver la force de partir dans ces conditions. Le traumatisme me semble assez fort pour avoir provoqué en elle une colère, une fureur et un sentiment d’amertume, un manque tel qu’elle aurait pu trouver la force de partir.

Je pense aussi aux 4 éléments, l’air, la terre, l’eau, le feu qui pourraient structurer le récit sous forme de chapitres. Chaque élément est associé à un personnage. Eléments qu’on retrouve au fond et au jour, dedans et dehors.

Je reprends mes notes sur Les évaporés du Japon  de Léna Mauger et Stéphane Remael, livre que j’ai acheté il y a dix ans et que je n’ai jamais pris le temps de lire.

« La boue a pénétré mes chaussures, j’avance à pas lents, je parle aux arbres (…) Deux jours que je marche, les pieds crottés, les habits humides, la boule au ventre à chaque cri d’animaux. C’est terrible une forêt la nuit. Je suis descendu du train au pied du mont Fuji et je me suis enfoncé dans la forêt d’Aokigahara, comme aimanté par ses légendes, pièges de lave, boussoles qui ne donnent plus le nord, brume magique, désespérés venant se donner la mort dans le secret de la nature (…) Aokigahara est surnommée « Jukaï », mer d’arbres. Je suis englouti par ses vagues denses et sombres. »

On croirait qu’il décrit la forêt de Vimy.

 

 

J’imagine que Jean Guidet, le peintre mineur, se fait surnommer « L’homme à la Barbe » ou « Jean Guidet dit Le barbu ». On retrouve dans son nom le mot guide. Son histoire recoupe celle du peintre spirite Augustin Lesage, qui était lui aussi mineur.

Personnages 

Barbara : élément AIR

Elle quitte son logement et sa fille encore petite à la suite des grèves de 1948 où son mari d’origine marocaine est rapatrié. Elle vit dans la forêt, en marge. Elle récupère des ossements dans la forêt. Ceux des animaux et des soldats morts de la 2è GM et elle invente ses propres rites funéraires pour les accompagner. Cette idée vient du confinement et de la difficulté à accompagner ses morts et à accomplir les rites. Parfois, elle apparaît à des promeneurs, de loin. Son image se confond petit à petit avec Sainte Barbe. La nature est bien sûr très présente, les arbres, les bruits, le ciel et les étoiles.

La fille : élément FEU

Elle a grandi sans sa mère, qui a disparu subitement. Sa grand-mère a vécu avec elle dans la maison, jusqu’à son décès. Elle en garde une grande méfiance pour l’extérieur. Elle s’occupe du foyer. Elle a du mal à sortir de sa maison, qu’elle garde comme un musée. D’ailleurs, avec la disparition de sa maman, ses apparitions mystérieuses, les tableaux de Jean Guidet, elle finit par accueillir des étrangers chez elle, journalistes, curieux, touristes, pour leur raconter son histoire. Elle raconte les anecdotes liées au lieu et à sa mère, et comme tout.e gardien.ne, finit par travestir la réalité. Son récit change en fonction des jours et de son humeur. Bien sûr, au vu du confinement que nous avons traversé, la question du temps et de l’occupation quotidienne est prégnante dans différentes parties du texte.

 

Jean Guidet : élément TERRE

Jean Guidet est mineur depuis l’âge de 13 ans. Un jour, un coup de grisou le laisse pour mort au fond de la mine. Il se réveille, imaginant comme dans un conte de fée que Sainte Barbe l’a embrassé et lui a redonné vie. Il décide à ce moment de se consacrer à la peinture et de rendre hommage à la sainte qui finit par prendre les traits de Barbara, la femme ermite.

 

L’amie : élément eau

Les contours de ce personnage ne sont pas encore bien dessinés, mais il s’inspire de l’histoire d’une des étudiantes en L1 arts du spectacle qui racontait qu’une personne de sa famille faisait le tour à vélo pour donner des nouvelles.  C’est la seule amie de la fille de Barbara. Elle lui permet de refaire le lien avec sa généalogie et de calmer ses angoisses liées à l’extérieur.

Le texte est découpé en 4 parties, qui commencent par un monologue et qui sont chacune consacrées à un des personnages.

Il y a aussi des articles de presse sur les apparitions de Sainte Barbe et les expositions au succès grandissant de Jean Guidet.

 

Voici quelques lignes sur mon travail en attendant de vous retrouver pour une restitution à la rentrée.
En espérant que cette période a été traversée le plus « sereinement » possible pour chacun.e d’entre vous.

 

Penda Diouf