"La mascotte est une énième incarnation" A. Taffanel

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Entretien avec Adrien Taffanel, artiste de cirque, en résidence à l’université d’Artois du 27 janvier au 14 février pour créer son nouveau spectacle Mascotte.

 

 

Pourquoi as-tu choisi le titre « Mascotte » pour cette nouvelle création ?

L’idée est de créer un spectacle pour le costume et pour l’homme qui est à l’intérieur.

Le costume va m’apporter une contrainte physique. J’ai vraiment cette envie d’aller mettre mon corps dans un corps qui n’est pas le mien, une armure molle qui offre des avantages : du rebond, de l’amorti et en même temps, ça va réduire l’amplitude de mes mouvements, mon champ de vision, mon centre de gravité sera modifié, le costume est lourd.

La question est : comment réussir, avec un corps qui n’est plus le mien, à quand même réaliser l’exploit circassien ?

Je trouve intéressant d’aller voir ce qui se passe chez l’anonyme qui est sous le costume, la mascotte c’est quand même le costume qui pousse l’individu à l’anonymat total car son corps est complétement recouvert, l’humain disparaît complétement sous la mascotte. Mais ses émotions et sa complexité aussi. Tout est dissimulé et il devient l’incarnation d’une marque ou d’une équipe de sport en ne renvoyant que des sentiments simples et positifs. Au point qu’on oublie parfois qu’il y a un humain dessous. Certaines personnes se permettent de bousculer les mascottes pour rire. C’est la mascotte qui prend mais aussi l’humain qu’il y a dessous. Et c’est cet humain que j’ai envie de mettre au premier plan. Il va sortir du costume.

 

 

Pour toi c’est vraiment un enjeu pour ton corps circassien, tes gestes, d’incarner une mascotte ?

La question que je me pose est comment je vais réussir à me mouvoir et me mouvoir comme j’aime le faire ? Mais dans un corps qui n’est plus le mien. Dans un corps augmenté.

 

 

Dans quel univers cherches-tu à plonger le spectateur ?

J’ai envie que ce soit comme une confession. Que le spectateur soit témoin d’un moment où tout bascule. Ce petit moment où tu vois la personne qui « vrille ». Là, en l’occurrence une mascotte qui va se permettre d’enlever sa tête, de parler, qui va nous dire ce qu’elle a sur le cœur, ce qu’elle a vécu. C’est cette petite goutte d’eau qui fait déborder le vase. Comme parfois, quand on voit une caissière ou un contrôleur SNCF qui se met à dire très fort, ce qu’il n’aurait pas le droit de dire à ce moment-là. Je trouve ça intéressant ce moment où on franchit la ligne.

 

 

Donc, d’après ce que je comprends, tu as déjà été mascotte ?

Oui j’ai déjà été mascotte, il y a longtemps. Quand j’ai commencé à travailler en village de vacances et il y avait LA mascotte de l’enseigne qu’il fallait incarner. C’est drôle car personne ne voulait le faire. Et moi j’adorais ça ! Ca me faisait beaucoup rire. J’avais une sensation de liberté en-dessous. Ça offre une sensation de liberté. Tu te dis alors que tu peux « tout faire » en dessous. Je me suis beaucoup amusé et en même temps j’ai vécu des moments un peu durs. A tel point qu’une mascotte ne se balade jamais seule mais toujours avec un garde du corps. J’ai récemment refait « mascotte » pour un club de football. C’était très drôle de revivre ça.

L’idée c’est de partir du réel pour créer une fiction. C’est de refaire des immersions, de refaire mascotte à différents endroits. Rencontrer d’autres personnes qui ont été mascottes. Et aussi, je pourrai le faire à l’université, me nourrir des expériences de chacun par rapport aux mascottes : s’ils ont des anecdotes à me raconter, le fait qu’il y ait des gens qui ont eu terriblement peur des mascottes étant petits…

 

 

Pourquoi intégrer ce flashback de ton expérience de mascotte ? Qu’est-ce-qui t’a fait te rappeler de cette expérience ? Il y a-t-il eu un élément déclencheur qui t’a donné envie d’écrire sur ce thème ?

Il y a 3 choses précisément :

·         C’est parti du corps contraint : j’ai déjà réalisé des premiers essais dans un « gros » corps et je trouvais ça hyper intéressant de pouvoir me jeter par terre, d’avoir beaucoup plus d’inertie dans le mouvement. Je me faisais surprendre par ce que me laissait faire ou non le nouveau corps que j’avais.

·         Il y a le travail autour de l’identité et de l’anonymat qui m’intéresse beaucoup.

·         Les moments où tout bascule font partie des choses que j’apprécie.

Ce sont ces raisons qui m’ont rappelé mon expérience de mascotte et j’ai trouvé ça très intéressant de me replonger dedans car c’est 1000 anonymes qui portent 1 costume célèbre.

Pour moi la mascotte c’est un peu l’extrême de ça : On l’a tellement lissé, que l’humain disparaît complétement pour n’avoir une seule image et on peut la contrôler à 100%.

 

 

Qu’est-ce que ça fait de changer complétement d’apparence ?

Quand tu es dessous on te dit : « tu peux tout faire ». Ce qui est assez vrai ! La mascotte peut se permettre de faire certaines choses. Je peux à ce moment-là faire un câlin à n’importe qui, m’amuser à voler le bonnet de quelqu’un. Et ça sera un moment drôle. Habillé en civil, on ne peut pas se permettre de faire ce genre de choses.

 

 

Peux-tu préciser sur quoi vont s’orienter tes recherches lors de ta résidence dans notre université ?

C’est le tout début de la création et ces 3 semaines seront comme un laboratoire. Il y a 1000 idées sur le papier et là, c’est le moment d’en essayer le maximum pour ouvrir le champ des possibles. Je sais ce que je veux raconter mais pas encore comment le raconter. C’est une chouette période mais c’est aussi une période où il faut arriver à se maintenir dans l’exploration des différentes portes et en choisir une seule plus tard. C’est le moment de rechercher, pas d’écrire.

 

Quel sera l’enjeu d’être mascotte sur scène après l’avoir été dans la vraie vie ?

La question est : comment les gens vont venir voir un spectacle qui va parler de mascotte, avec une mascotte qu’ils n’identifient pas. Ils n’ont pas encore de raisons de l’aimer ou non.

L’idée est de faire un constat et non de dire ce qui est bien ou mal. De voir une tranche de vie. Je donne des choses à voir, à réfléchir, des choses qui m’ont touché pendant mes temps d’immersion. Je ne dicte pas la manière dont il faut penser les choses. Même si ça reste une critique : c’est mon point de vue qui est donné.

 

 

Comment définirais-tu la mascotte ?

On peut plutôt s’intéresser à l’étymologie du mot. Le terme vient du provençal : « Mascoto » qui veut dire « sortilège ». C’est l’écrivain Frédéric Mistral qui l’a introduit dans la langue française. C’est étonnant, ça serait un sortilège ! J’ai aussi envie d’aller « gratter » du côté des rituels, car on a incarné beaucoup de personnages à travers les âges, avec les masques ou les costumes qui étaient parfois très proches de la religion. Et la mascotte est une énième incarnation. Mais j’ai cette impression qu’on a toujours incarné des choses…

 

Propos recueillis par Charlotte Martiaux, étudiante vacataire, le 22 janvier 2020

 

Vous pouvez rencontrer Adrien Taffanel

-Autour d'un échauffement cirque collectif : les mardi 28 janvier, 4 et 11 février de 8h15 à 9h à la Ruche

-Autour d'un "Crash Test", pour échanger autour de son travail de création pour "Mascotte"

Le jeudi 30 janvier à 17h à la Ruche

Le jeudi 6 février à 17h dans la salle rose

Le jeudi 13 février à 18h à la Ruche, dans le cadre du Panorama 2