Hommage à Jacques Sys

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In memoriam Jacques Sys

Avec la discrétion et l’élégance qui étaient ses seuls luxes, Jacques Sys nous a quittés le 21 février 2007. Toute la communauté universitaire est en deuil de celui qui fut un tel animateur et un tel passeur de la recherche scientifique. Professeur de langue et littérature anglo-saxonnes, initiateur de plusieurs centres de recherche internationalement reconnus (dont l’Institut d’Etude du Fait Religieux), il avait aussi fondé en 1992 la revue Graphè, devenue la référence dans le domaine des lectures littéraires de la Bible, et sans équivalent dans le monde universitaire francophone.

A l’Université Charles de Gaulle - Lille 3 où il fut le premier vice-président de Bernard Alluin, il oeuvra de façon décisive à la restructuration de la recherche en sciences humaines. Sa curiosité universelle et son immense culture l’y avaient fait unanimement reconnaître et apprécier aussi bien des anglicistes que des hellénistes, des historiens que des anthropologues.

Enseignant infatigable, spécialiste de C.S. Lewis, Milton, Edward Burke, John Bunyan…, mais aussi de la pensée théologique de Paul Ricoeur, il a formé sur les bancs de plusieurs universités françaises et étrangères un grand nombre d’étudiants, de doctorants et de chercheurs enthousiasmés par la puissance et l’originalité d’une herméneutique croisant littérature, philosophie et théologie.

Artisan et militant de l’Université d’Artois dès avant la création de celle-ci, il y fut successivement directeur de l’école doctorale, directeur de l’UFR de Langues, vice-président en charge de la recherche, avant de succéder à Jean-Jacques Pollet à la présidence de cette université, le 14 janvier 2005. Sa trop brève carrière à ce poste a laissé à tous ses collègues, personnels enseignants, administratifs, techniques et de bibliothèque, le souvenir inoubliable d’un éminent chercheur, d’un administrateur plein de sagesse et d’un collègue dont l’humanité chaleureuse suscitait immédiatement l’amitié et l’estime.

Dans la plus haute et la plus exigeante tradition française, Jacques Sys cultivait aussi la poésie, dont Artois Presses Université a publié un premier recueil, Poèmes de l’entre-temps :

« Mais il n’est plus temps de pleurer car me voici pour ta gloire. Et je dirai non loin de ton aile les choses telles qu’elles sont dans le grand soleil que fait ta justice. Je mesure en ce Jour la distance qui me sépare de toi et me fait grand et plus grand encore que les cimes joyeuses où résident les Puissances. Appuyé sur ton Ange j’avance maintenant hors de l’âge sur les terres dures et les chemins verticaux de ce qu’il faut dire, et faire, et croire. J’ai peine à respirer dans l’altitude glacée où personne ne me voit ; mes yeux gelés ont perdu l’horizon et le pourquoi de mes vieux désirs. Reste cette présence brûlante et silencieuse à mes côtés »

Christian Morzewski

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La revue Graphè est orpheline. Son fondateur, Jacques Sys, nous a quittés brutalement le 21 février dernier après avoir lutté avec une force et un courage exemplaires contre la maladie.

C’est en 1992 que Jacques Sys, avec Francine Lenne et les regrettés Pierre Cazier et Jean-Marie Delmaire, inaugurait le premier numéro de la revue consacré à l’Apocalypse. Dans la préface, il définissait le projet éditorial en ces termes :

« Qu’une méditation s’élève parmi des universitaires sur l’intrication des textes sacrés et de la culture occidentale n’a en soi rien de bien original ; il ne s'agissait pourtant pas de constituer des catalogues d'emprunts, d'influences, de dresser la carte des réseaux métaphoriques, de parler en un mot d'influence de la Bible sur les littératures et les arts ; cette entreprise, déjà menée avec plus ou moins de bonheur, ne nous satisfaisait pas. Il y avait autre chose à faire, pour des « littéraires » et des « civilisationnistes » qui ne sont ni des exégètes ni des théologiens, un autre questionnement à mener qui est celui de la dialectique du regard et du Verbe, de la Parole face à la littérature et aux arts, du Verbe dans son inscription et son canon se tenant face (dans cette espèce d'adversité que nous avons précédemment évoquée) aux productions libres des hommes, face à la liberté créatrice ; et ce point de vue impliquait que la création littéraire ou artistique se donnât (du moins dans l’une de ses dimensions) comme lecture (adverse), dans la distance, la dualité et l’altérité, comme lecture et aussi comme réponse à une sollicitation de l’être. »

Il est vrai que Graphè n’a guère d’équivalent, aujourd’hui encore, dans le monde universitaire francophone. Depuis sa création, elle a publié chaque printemps un numéro thématique qui joue désormais l’alternance entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Personnages (n° 11 « la reine de Saba »), lieux (n° 14 « la Jérusalem céleste »), livres (n° 8 « le Cantique des Cantiques »), épisodes (n° 12 « l’Annonciation ») ou encore péricopes (n° 10 : « le prologue de Jean ») ont été successivement étudiés dans les derniers numéros. De fait, la revue a des allures de collection.
Elle a aussi donné l’occasion de réunir des spécialistes du texte biblique et de son intertextualité au cours de colloques annuels, prémices à la future livraison de la revue. La liste des collaborateurs est longue et compte plus de cent vingt noms, français et étrangers, parmi lesquels de nombreux intervenants fidèles. La stature internationale de Jacques Sys et sa courtoisie naturelle ont grandement favorisé ce tissage de relations et d’échanges universitaires qui est aussi une belle aventure humaine.
Animateur infatigable de l’axe « Lectures de l’Écriture » au sein des centres qu’il a pu diriger à Lille 3 puis à l’Université d’Artois comme de l’Institut d’Étude du Fait Religieux (IEFR) qui succéda à l’Institut des Sciences des Religions, Jacques Sys a suscité de nombreuses vocations de chercheurs sensibles à sa démarche originale mariant littérature, philosophie et théologie. Tous ceux qui l’ont approché à l’occasion d’une journée d’étude ou d’une soutenance de thèse, ou de manière plus régulière dans ses nombreuses responsabilités administratives (comme directeur d’UFR, vice-président du conseil scientifique à Lille 3, président de l’université d’Artois), garderont de lui l’image d’un enseignant chaleureux et disponible, d’un collègue aux interventions toujours brillantes et pleine d’humour, d’un homme lumineux à l’élégance subtile.

Bientôt furent lancés les « Cahiers de Lectures de l’Écriture – Graphè » qui ont accueilli, il y a quelques semaines, les textes poétiques de Jacques Sys. Parallèlement à ses travaux universitaires (citons seulement les Imaginaires christologiques, publiés aux Presses du Septentrion en 2000), Jacques Sys s’adonnait de manière assidue et passionnée à l’écriture. Ses Poèmes de l’entre-temps sont d’une haute et noble inspiration. Des échos scripturaires se font entendre au détour de nombreuses pages et nourrissent une vaste méditation sur l’existence et sa destinée, comme en témoigne cet extrait de la partie intitulée L’autre nuit :

« L’Être se tient au midi
Quand la matinée s’effondre dans un souffle
Quand l’air tremble sur la terre
Quand le minutieux essuie ses mains dans son tablier
Ajuste ses lunettes
Interroge l’œuvre une dernière fois
Lève le regard vers la croisée
Et voit se tenir l’ouvrage dans l’air immobile
Suspendu au fond d’un ciel qu’il ne connaît pas
Et qui se prend à faire sens » 

En mémoire de Jacques Sys, nous nous efforcerons de continuer « l’ouvrage » afin de lui donner sens… Le plus bel hommage que l’on puisse lui rendre est de poursuivre la publication de Graphè tout en entretenant l’esprit et la ferveur qui ont toujours animé la revue. Le colloque sur le « Jardin d’Éden » offrira une première occasion d’honorer le lecteur attentif et l’herméneute perspicace qu’il était (la description de Gn 2, 8-15 n’avait pas manqué d’attiser sa curiosité jusqu’aux derniers jours) avant de cheminer plus loin « sous les frondaisons où la lumière et l’ombre sont encore mêlées »…

J.-M. Vercruysse